Baromètre mondial des investissements industriels 2024
TRendeo, Institut de la réindustrialisation et McKinsey
Trendeo, l’Institut de la réindustrialisation et McKinsey s’associent à nouveau et dévoilent les enseignements de la 9ème édition du Baromètre mondial des investissements industriels. Cette étude recense, depuis 2016, les investissements significatifs[1] à l’échelle internationale, aussi bien dans des unités industrielles existantes que dans de nouvelles unités de production, et analyse les tendances associées. Elle identifie notamment les projets et réalisations qui contribuent au développement de « l’usine du futur », sur des critères technologiques et sociétaux : la flexibilité, la numérisation, l’efficacité énergétique, la protection de l’environnement, l’insertion dans l’économie locale et les conditions sociales.
[1] Sont étudiés les projets d’investissement de plus de 30 millions de dollars ou ceux amenés à créer plus de 50 emplois.
Parmi les enseignements clés :
On observe une baisse de 26 % des investissements industriels à l’échelle mondiale, à hauteur de 1 120 milliards de dollars, en particulier dans l’industrie manufacturière et la production d’énergie.
Au niveau régional, les investissements vers les États-Unis continuent de croître, majoritairement financés par les entreprises européennes, tandis que le déclin de la Chine se poursuit. L’Europe connaît une lente reprise et l’Inde reste stable.
L’Europe maintient une position plus forte en matière de R&D par rapport à sa part de production.
En 2024, les Etats-Unis continuent d’attirer les investissements industriels du monde entier. Les groupes européens, en particulier, contribuent fortement à la croissance de l’investissement dans la zone Amérique. L’Union européenne quant à elle progresse, mais aurait besoin d’un recentrage de ses groupes pour remonter significativement. L’Europe a pourtant des positions significatives en matière de R&D notamment, ou de qualité de ses projets, qui constituent des atouts pour se repositionner. Nous commençons cette année à voir l’IA se répandre dans les usines.
David Cousquer, CEO et fondateur de Trendeo
Une baisse des montants d’investissements à l’échelle mondiale sur les 12 derniers mois, avec des disparités régionales
Après une année 2022 marquée par une baisse conséquente des investissements industriels mondiaux (environ 20 %), en partie imputable aux conséquences du conflit russo-ukrainien, et une année 2023 de stabilisation (+5 %), l’année 2024 marque une nouvelle tendance baissière : -26 % en valeur et -3 % en volume[1], à hauteur de 1 120 milliards de dollars. S’il s’agit d’une baisse conséquente par rapport à 2023, le niveau d’investissement devrait néanmoins rester supérieur aux niveaux pré-COVID.
Au-delà de ces chiffres consolidés, des disparités régionales subsistent : l’Asie et l’Afrique voient leurs investissements baisser, l’Europe connait une relative stabilité, tandis que le continent américain affiche des investissements industriels en croissance.
Le continent américain est ainsi en passe de devancer l’Asie, avec 36 % des montants d’investissements captés en 2024 (28 % en 2023), contre 41 % pour l’Asie (54 % en 2023). Les Etats-Unis deviennent la première destination en matière d’Investissements Directs à l’Etranger (IDE) en montant investit, devant l’Union européenne. Les IDE y dépassent pour la première fois les investissements domestiques, tant en nombre d’investissements qu’en montants investis. Les pays européens sont les premiers investisseurs aux Etats-Unis.
L’augmentation des investissements industriels en Inde (+140 % entre 2023 et 2024) ne suffit pas à compenser la baisse en Chine et dans le reste de l’Asie (respectivement
-57 % pour la Chine, qui accusait déjà un recul de 28 % l’an dernier, et -81 % pour le reste de l’Asie).
La part de l’Union européenne se positionne à hauteur de 12 % en 2024 (contre 10 % en 2023), un niveau historique. Il est intéressant de constater que le continent capte néanmoins 17 % des investissements annoncés pour 2024 dans les giga factories, dont plus de la moitié proviennent d’investisseurs étrangers situés en dehors de la zone. Sur les 171 projets de giga factories annoncés depuis 2016, l’Allemagne en a capté 37 (22 %), la France 19, la Hongrie 11 et la Finlande et l’Espagne chacune 10.
[1] Cette projection tient compte d’un investissement substantiel de 227 milliards de dollars annoncé par Samsung en 2023 dans le secteur de l’électronique. Si l’on exclut cet investissement de l’analyse, la baisse prévue entre 2023 et 2024 serait plus modérée (13 %).
Une baisse tirée par un recul conséquent des investissements dans l’industrie manufacturière et l’énergie
Avec 668 milliards en 2024, les investissements manufacturiers ont connu une baisse de 37 % par rapport à l’an dernier. Si l’on exclut de l’analyse un investissement de Samsung à hauteur de 227 milliards de dollars en 2023, la baisse du secteur manufacturier serait plus modérée, mais néanmoins toujours conséquente, à hauteur de 20 %.
A l’origine de ce déclin : une baisse substantielle dans les secteurs de l’électronique
(-297 milliards de dollars, soit -58 %), de la chimie (-49 milliards de dollars, soit -28 % du fait d’un ralentissement de la demande de batteries lithium-ion et d’équipements hydrolyses) et des équipements électriques (-64 milliards de dollars, soit -60 % en lien avec la réduction des investissements dans les usines de batteries et de véhicules électriques, notamment en Europe). Cette baisse est partiellement compensée par des gains dans les secteurs de l’automobile (+33 milliards de dollars, soit +51 %) et du raffinage du pétrole et du gaz (+9 milliards de dollars, soit +65 %).
Les investissements en faveur de la production d’énergie (-13 %) et de la R&D (-33 %) ont également chuté, à la fois en montant de dépenses et en nombre de projets, même si on note une augmentation notable de la taille moyenne des projets en 2024 dans ces domaines.
Certains secteurs, bien que de taille plus modérée, voient leurs investissements croître. Ceux réalisés dans les centres de données augmentent de 16 % (ils affichaient déjà une hausse de + 72 % l’an dernier) et sont dominés par les GAFAM, avec près de 70 milliards de dollars projetés en 2024, principalement en provenance et à destination des Etats-Unis. Ceux dans les les mines et carrières connaissent une évolution de +10 %, portés par une hausse des projets d’extraction de pétrole, de cuivre et de diamants (75 % du total), et ceux dans la logistique une évolution de +11 %. Les investissements dans le traitement des déchets et de l’eau ont presque doublé, passant de 15 à 29 milliards de dollars. Enfin, les investissements dans l’agriculture ont été multipliés par cinq, grâce à un important projet de 750 millions de dollars en Algérie.
Bien que l’investissement industriel ait reculé en France pour la première fois depuis 2019, les enseignements du baromètre mettent en évidence une logique d’investissement qui reste vertueuse et favorise la résilience du secteur. C’est une excellente nouvelle dans un contexte difficile. Nous y voyons une opportunité pour l’Hexagone de maintenir sa dynamique de renaissance industrielle, en misant activement sur les leviers de productivité du secteur qui font la force du « Label France » : ses infrastructures, son vivier de talents techniques, l’excellence de ses foyers de recherche et d’innovation, ou encore la possibilité de disposer d’une énergie décarbonée à coûts raisonnés.
Matthieu Dussud, Directeur associé chez McKinsey France
L’Europe fait face à un rattrapage des autres régions en termes d’investissements vertueux, mais connaît une nette amélioration en matière d’efforts R&D
L’Union européenne dispose historiquement d’une stratégie d’investissement vertueuse. Elle est toujours en tête en matière de protection de l’environnement (réduction de l’empreinte carbone, de la pollution et préservation des ressources) et d’efficacité énergétique (réduction de la consommation d’énergie), mais l’écart se réduit avec les autres régions du monde. La zone Amérique rattrape son retard et passe devant, notamment en matière de conditions sociales (amélioration des conditions de travail, de sécurité, de formation et de rémunération) et de flexibilité de l’appareil de production.
En revanche, si l’Asie reste la première destination des investissements en R&D, l’Europe, qui draine 30 % des investissements dans ce domaine, se place désormais en deuxième position devant la zone Amérique, grâce à un large investissement dans la recherche publique fondamentale. L’Ile-de-France et l’Auvergne-Rhône-Alpes figurent ainsi dans le TOP 30 des régions pour les investissements R&D (respectivement 20ème et 25ème). En termes de secteurs, à l’échelle mondiale, l’électronique (36 %) et l’industrie automobile
(17 %) captent plus de la moitié du montant investi en R&D depuis 2016.
Enfin, les investissements en Intelligence Artificielle continuent leur rebond en 2024, portés par les investissements dans la chaîne de valeur de la technologie. Les projets pilotés par l’IA dans la R&D sont les plus nombreux, devant les projets pilotés par l’IA dans l’industrie manufacturière et dans les centres de données. Il est à noter, dans ce domaine, que bien que l’Europe représente 1/3 des investissements (origine), juste derrière l’Asie (36 %), elle n’en accueille que 20 % (destination), loin derrière l’Asie (42 %) et la zone Amérique (32 %).
L’intelligence artificielle impacte fortement le domaine de l’enseignement et de la recherche. Il est nécessaire, notamment pour les écoles d’ingénieurs, de comprendre comment cette technologie transforme les industries afin d’accompagner d’une manière cohérente l’acquisition des compétences nécessaires. A ce titre, le rapport de cette année souligne le double rôle de l’intelligence artificielle : d’une part, en tant que secteur de haute technologie englobant la R&D, les serveurs, les semi-conducteurs et les centres de données ; d’autre part, en tant qu’outil de transformation de la production industrielle. En soi, l’IA progresse en tant que domaine d’étude, entraînant des innovations en matière d’infrastructure et de calcul. Appliquée à la production, l’IA optimise l’utilisation des ressources, améliore la gestion des usines, réduit les coûts de transport et accélère la recherche médicale. Les applications se multiplient à tous les stades de la production.
Gwenaël Guillemot, Directeur de l’Institut de la réindustrialisation