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Depuis 2017, la France s’est lancée dans une politique volontariste pour faire revenir dans l’Hexagone des pans de son industrie mais également pour susciter des projets industriels innovants. Tour d’horizon.

Réindustrialisation : la France relance ses usines malgré les crises

Chantier prioritaire du président Emmanuel Macron, la réindustrialisation de la France, entamée en 2017, poursuit son cap malgré les nuages politiques et géopolitiques. Selon un baromètre de l’état français diffusé au printemps 2024, la dynamique de relocalisation industrielle est restée positive en 2023 dans l’Hexagone, malgré de nombreux facteurs extérieurs défavorables : envolée des prix de l’énergie due à la guerre en Ukraine, taux d’intérêts élevés, exacerbation de la concurrence entre pays pour attirer les meilleurs projets…

Au total, l’an dernier, 57 nouvelles usines (solde des ouvertures et des fermetures) sont sorties de terre en France contre 49 en 2022. Si l’on tient compte des agrandissements de sites, ce chiffre s’élève même à 201, contre 176 un an plus tôt. L’emploi industriel, de son côté, a progressé, en valeur absolue, avec 130 000 créations depuis 2017. Selon la Banque de France sur la seule année 2023, l’effectif total des entreprises de l’industrie manufacturière a progressé de 1,8%. Léger bémol toutefois, bien que les usines poursuivent leur installation dans l’Hexagone, la production industrielle n’en bénéficie pas encore. En février dernier, cette dernière demeurait légèrement inférieure à son niveau de 2015.

Au sein d’un tableau optimiste et encourageant de la réindustrialisation en cours, certains secteurs souffrent toujours des conséquences de la crise sanitaire. À l’image de l’aéronautique, dont la production demeure inférieure de 25% à son niveau d’avant-pandémie, ou, pour des raisons différentes, de l’ automobile. Bonne nouvelle, toutefois, selon le baromètre, la France a enregistré un afflux d’investissements significatifs dans un certain nombre d’autres secteurs industriels, comme l’agroalimentaire, par exemple, qui a vu surgir le plus grand nombre d’implantations nouvelles ou d’extensions (47 au total), en 2023.

Les autres secteurs en plein regain ? L’industrie verte et l’économie circulaire (gigafactories de batteries, production d’ hydrogène, photovoltaïque, recyclage) avec 29 opérations réalisées en 2023, mais aussi les transports (22) et la santé (20). La métallurgie, pénalisée en 2022 par la crise de l’énergie s’est dotée elle aussi de capacités de production supplémentaires l’an dernier.

D’autres secteurs, énergivores eux aussi, apparaissent, en revanche, moins favorisés. À l’image du secteur du papier-carton qui a enregistré un solde négatif (-1) l’an dernier, tandis que le nombre d’installations dans la plasturgie stagnait.

Vers une nouvelle géographie industrielle en France

73

opérations réalisées en 2024 en région Auvergne-Rhônes Alpes

Sur un plan géographique, le paysage industriel hexagonal est en phase de recomposition. La région Auvergne-Rhône Alpes apparait ainsi comme la grande gagnante de l’élan collectif de réindustrialisation, avec 73 opérations réalisées l’an dernier, suivie de la Nouvelle-Aquitaine. À elles deux, ces régions concentrent la moitié des ouvertures nettes d’usines sur le territoire français. Dans ces conditions, l’heure est à l’optimisme même s’il faut rester prudent tant le contexte politique est tendu.

« Depuis 2017, notre pays redevient un territoire attractif pour les investissements industriels français et étrangers, en raison d’un véritable volontarisme politique et d’une prise de conscience globale de la part des acteurs économiques, du besoin impérieux de relocaliser notre production tout en la rendant davantage décarbonée. » se réjouit Gwénael Guillemot, directeur de l’institut de la réindustrialisation & responsable du département pôle industrie et services à CESI. Il estime que cette prise de conscience a été renforcée par la crise sanitaire qui a vu, notamment dans l’Hexagone, des interruptions temporaires de production et d’approvisionnement notamment vis-à-vis de la Chine et qui a mis en lumière le manque de médicaments stratégiques (principes actifs, masques).

« L’industrie est (re)devenue, à juste titre un symbole de la souveraineté nationale et un actif stratégique » poursuit Gwénael Guillemot, qui pointe l’année 2022 comme symbole, celle où depuis 2017, la France a enregistré un nombre de créations d’usines égal à celui des fermetures et à la création d’emplois sur le territoire. Quoiqu’il en soit, la réindustrialisation progressive du pays s’inscrit dans une démarche de longue haleine, après plusieurs décennies où les usines quittaient le territoire national, les unes après les autres. Alors que la part de l’industrie représentait 19% du PIB en 1972, elle ne pesait plus que 9% en 2020. De même, la part d’emplois industriels pesait 37,4% du total en 1982, contre 13,3% en 2020. Le mouvement de rapatriement de leurs productions dans l’Hexagone par les entreprises françaises permet de revitaliser l’industrie locale et de mettre en avant l’expertise du pays.

« L’industrie est (re)devenue, à juste titre un symbole de la souveraineté nationale et un actif stratégique »

Gwénael Guillemot

Les moteurs de la réindustrialisation : volonté politique et innovation

30

milliards d’euros investis sur la compétitivité industriel avec le plan France 2030.

Selon Gwénael Guillemot, au-delà des relocalisations, les nouveaux projets issus de l’innovation ou l’agrandissement de sites déjà existants sont le moteur de la réindustrialisation. Ces succès, qui demandent à être confirmés, ne sauraient être obtenus sans le soutien des pouvoirs publics. En particulier avec le plan France Relance (100 milliards d’euros) initié en septembre 2020 qui a appuyé́ près de 800 projets et généré près de 4 000 emplois mais également avec le plan France 2030 doté de 30 milliards d’euros et déployé sur 5 ans qui vise à renforcer la compétitivité́ industrielle du pays et à promouvoir les technologies du futur. Grâce à ces impulsions des pouvoirs publics les startups industrielles françaises ont enregistré́ une accélération de leur développement, levant plus de 3,78 milliards d’euros en 2022.

Au total, plus de 70 nouveaux sites industriels ont été créés par des startups, PME ou ETI, dynamisant ainsi le tissu régional. Dans cette politique tous azimuts de réindustrialisation, la prise en compte de l’environnement se révèle plus que jamais essentielle. Afin de faire de la France une nation décarbonée la loi industrie verte promulguée en octobre 2023 et qui s’articule autour de plusieurs axes (financer l’industrie verte, accélérer les implantations industrielles, réhabiliter les friches, verdir la commande publique) a répondu à un double objectif.

Tout d’abord, lutter contre l’urgence climatique. Dans ce cadre, une baisse de 41 millions de tonnes d’équivalent CO2 est attendue d’ici 2030 grâce aux principales mesures que la loi industrie verte contient, ce qui représenterait 5 % de réduction de l’empreinte des importations et 1 % de l’empreinte totale de la France.

Le deuxième objectif de la loi est de nature économique en visant la réindustrialisation « propre » et la création d’emploi. « Les efforts en faveur de la réindustralisation de la France doivent aussi contribuer à maintenir sa compétitivité dans un concert mondial où les géants économiques et politiques ne restent pas inactifs, bien au contraire », prévient Gwénael Guillemot qui signale que malgré le volontarisme affiché, l’Europe a pris du retard vis- à-vis de ses concurrents.

La Chine et l’Inde concentrent ainsi 60% des investissements industriels dans le monde et les États-Unis orientent de nouveau des investissements colossaux vers le développement industriel. « L’Europe doit mettre en place une véritable politique stratégique industrielle, ce qu’elle n’a jamais encore réalisé pour le moment. Les efforts déployés pour faire face aux besoins en armes de l’Ukraine peuvent représenter un début de coopération industrielle à grande échelle », espère Gwénael Guillemot.

Directeur général du cabinet d’études Trendeo spécialisé dans la veille et l’information économique, David Cousquer reconnait que si la réindustrialisation est un chemin semé d’embûches, avec des hauts et des bas, la tendance de moyen terme demeure encourageante, malgré des difficultés rencontrées fin 2024. « Depuis 2016, l’industrie est repassée dans le vert. La France a bien résisté au choc sanitaire. Les gigafactories qui se sont installées dans le nord de la France pour produire des batteries pour les voitures électriques vont dans le bon sens », juge-t-il, pointant toutefois les points faibles de l’industrie française. Notamment une stratégie haut de gamme (ex : luxe) qui ne concerne que des niches et des petits volumes et qui n’est pas de nature à redresser le déficit commercial abyssal du pays (99,6 milliards d’euros en 2023).

« La France doit attirer et générer des projets industriels, de plus grande ampleur, à plusieurs milliards d’euros afin d’enclencher des externalités vertueuses, notamment dans le secteur stratégique des semi-conducteurs. Les industriels français doivent davantage produire dans l’Hexagone des objets du quotidien » estime-t-il. Selon David Cousquer, si les aides du gouvernement représentent un premier pas vertueux pour favoriser la réindustrialisation, les petites structures industrielles innovantes ont besoin d’être davantage accompagnées sur des aspects essentiels, comme par exemple la recherche de terrains.

« Avec la loi Climat et résilience de 2021 qui définit un objectif de zéro artificialisation nette pour 2050, il n’est pas simple de trouver du foncier Certes, il faut utiliser les friches industrielles, mais ces dernières sont souvent difficiles à aménager et à dépolluer » explique-t-il. Pour lutter contre le manque de compétences et de ressources humaines nécessaires à la réussite de la réindustrialisation, David Cousquer estime qu’il serait nécessaire, par exemple, de développer davantage la robotisation, domaine dans laquelle la France possède du retard par rapport à ses principaux concurrents, mais également les outils d’intelligence artificielle.

Le développement des compétences et l’attractivité des métiers

Si la France possède toujours la 1 re place européenne en termes d’attractivité (baromètre EY de l’attractivité de la France, 2024), les implantations et extensions dans l’Hexagone s’avèrent moins denses en emplois (35 créations d’emplois en moyenne) que dans le reste des principaux pays d’accueil des investissements étrangers en Europe (49 en Allemagne, 61 au Royaume- Uni). Délégué général de l’Union des Industries et Métiers de la Métallurgie (UIMM) qui représente 42 000 entreprises du secteur et 1,5 million de salariés, Hubert Mongon estime que l’enjeu de la transmission des compétences techniques et industrielles est primordial pour favoriser la réindustrialisation. Le défi des compétences conditionne la réussite de celle-ci. Cela recouvre l’adaptation de notre appareil de formation aux évolutions démographiques, sociétales… ainsi que l’attractivité des métiers industriels.

« Il faut encourager la formation tout au long de la vie, réussir la réforme des lycées professionnels, davantage professionnaliser l’enseignement supérieur universitaire et poursuivre le développement de l’apprentissage. Fin 2023, nous avons d’ailleurs atteint les 75 000 alternants formés dans la branche de la métallurgie. Pour sécuriser le parcours de ces alternants, il faut s’attaquer à la politique du logement et de la mobilité ». Sur un plan macroéconomique, Hubert Mongon revendique une diminution du nombre de normes réglementaires « déjà très élevées dans le pays », le maintien de la politique de l’offre mis en place à partir 2012 par le président Hollande ainsi que la sanctuarisation de dispositifs qui ont fait leur preuve, comme le crédit impôt recherche.

« Pour pouvoir innover et réindustrialiser, l’État doit être attentif à ce que la politique fiscale envers les entreprises ne les freine pas dans leur élan. »